Que surgisse de l’oubli la mémoire de Mbarick Fall « Battling Siki » ! Découvrez en 10 dates la magnifique histoire du premier noir africain champion du monde de boxe. Sa vie fut courte mais ô combien libre.
1897 : Naissance et premiers pas à Saint-Louis
Amadou Fall, dit « Mbarick », qui se fera appeler plus tard Louis Fall puis Battling Siki, vient de naître à Saint-Louis au Sénégal. Il est le fils d’Oulimata Fall et Alassane Fall, pêcheur du quartier de Get Ndar. L’enfant grandit, aimé et chéri, entre le fleuve et la mer. Saint-Louis est un important port colonial, cosmopolite et vibrionnant, où transite âmes et biens de différents horizons. Mbarick goûte très tôt à la liberté, celle obtenue par la force de ses poings et de son entêtement. Il ne la quittera jamais. C’est là tout l’éclat mais aussi tout le drame de sa vie.
Comme tous les enfants de son âge et de son milieu, il fréquente très tôt l’école coranique. De magnifiques lettres qu’il absorbe sans en connaître le sens ni la réelle portée. Qu’importe, il y est heureux avec son ami Oumar Sarr. Un enfant surdoué, que le vénéré Cheikh Ahmadou Bamba fera venir auprès de lui, à son exil en Mauritanie vers 1906.
A l’âge 6 ans, Mbarick se passionne pour la plongée et excelle en sa pratique. Le voilà formidable nageur, s’amusant à remonter du fond du fleuve, les pièces d’argent que les voyageurs « toubabs », s’amusent à jeter du haut de leur bateau. Sait-il en ces instants que sa vie basculera ? Mame Coumba Bang, déesse du fleuve et gardienne de la quiétude, en est persuadée.

1907 : De Saint-Louis la sublime à Marseille l’inconnue !
Une danseuse hollandaise Elaine-Marie Holtzmann-Gross et son amie Freda Stampe reviennent d’une tournée des Indes. Leur bateau accoste aux larges de Saint-Louis, le temps d’une escale. Elaine remarque une étrange cohue et se rapproche. Elle est surprise d’assister à une scène des plus inhabituelles. Des « toubabs » s’amusent à jeter des pièces par-dessus bord. Les jeunes nageurs sénégalais dans l’eau s’amusent à aller les chercher au fond de l’eau. Désireuse de participer à ce petit jeu, Elaine y va de sa petite pièce. Mbarick, un des jeunes nageurs, plonge et rattrape la pièce au fond des abîmes. Tout part de là. Empruntons à Jean-Marie Bretagne, auteur de l’ouvrage « Battling Siki », ses mots pour décrire la scène :
« Il apparut instantanément, tendant la pièce entre ses doigts, comme s’il l’avait attendue tapi au fond des eaux. Il l’avait attrapé au vol ou presque ![…] Elle partage son rire, comme s’ils étaient complices, désormais. Très naturellement, elle lui adressa un geste du bras pour lui indiquer de se mettre à l’écart de ses camarades. En réponse, il se détacha du groupe et approcha en crawlant du navire. […] Il nagea vers la rive et, se laissant guider, elle courut sur la passerelle pour l’accueillir à terre… Elaine lui prit la main et, le sentant frissonner, elle l’entraîna sur le pont du bateau. Elle trouva une serviette, lui frotta le dos, le réconfora. […] Ils durent fermer les yeux très fort, pour oublier l’ordre des choses. La sirène retentit et l’Océan se déploya bientôt autour d’eux. Les quais de Saint-Louis disparurent dans la poussière du vent de sable. »
Mbarick Fall vient d’être arraché de ses terres, direction Marseille puis les Pays-Bas. Arrivé à Marseille, Elaine et Frema abandonnent Mbarick pour défaut de papiers d’adoption en règle, Mbarick ne peut suivre ses pirates.

1910 : Mbarick Fall devient Battling Siki

Illustr. Agence Meurisse © Gallica.bnf.fr
Mbarick a entre 12 et 13 ans. Il a survécu tout seul grâce à de petits boulots : ouvrier sur le port, portier, livreur, plongeur… Un soir de service, Mbarick essuie la vaisselle dans un bar. Un ivrogne se met à faire du grabuge. Mbarick se présente devant l’invité infortuné et se prend un coup de poing. Il tombe mais se relève. Un autre coup de poing retentit et l’assomme.
Quelques instants plus tard, revenu à ses esprits, Mbarick retrouve l’immodéré entrain d’étancher sa soif avec une pinte de bière. Il lui tapote l’épaule. L’infortuné se retourne et se retrouve nez à nez avec le visage de Mbarick ensanglanté. Il n’a pas le temps de réagir, Mbarick décroche un direct en pleine mâchoire. K.O ! Mbarick vient de remporter son premier match.
Les clients ébahis par sa victoire le portent en héros. Un ancien boxeur se trouve dans l’assistance. Jean-Marie Bretagne nous raconte l’échange :
– « Tu es un petit malin ! On te l’a déjà dit ?
– Oui, m’sieur, chez moi on m’appelait siki, le rusé !
– Alors Désomais tu seras Battling Siki »
Décormais résolu à embrasser la boxe, il croise deux forains qui dirigent une écurie de boxeurs, les frères Rose. Tout au long de sa formation, il est maltraité, roué de coups et mal nourri. Silencieux, patient et sourire aux lèvres, il endure et apprend.
Battling Siki devient officiellement boxeur en ce 1er janvier 1912. Il bat son premier adversaire pour un cachet de 3 francs. De 1912 à 1914, il sillonnera les rings de Nice à Narbonne avec un bilan de huit victoires, deux matchs nuls et six défaites. Bilan mitigé mais fait de gloire : il réussira à prendre sa revanche en rencontrant l’un des frères Rose.
1914 : Aux armes ! Battling Siki devient Louis Fall
Battling s’engage dans l’armée française, la première guerre mondiale vient de débuter. Il rejoint l’armée volontairement car les Africains n’ont pas l’honneur d’être convoqués sous les drapeaux. Sans doute pour éviter qu’ils se prennent pour des Français à part entière. Le voilà désormais baptisé « Louis Fall » ! On le retrouvera le 25 Avril 1915 à bord d’un navire, engagé avec bravoure dans la bataille des Dardanelles.

A l’instar de Battling Siki, cent trente mille combattants noirs s’nagagent dans cette guerre. Trente mille d’entre eux ne rentreront pas. Sacrifiés, ils représentent selon le général Mangin : « une force noire à consommer avant l’hiver ».
1919 : La guerre d’après…
La guerre est finie, Battling Siki est décoré de la croix de guerre et devient adjudant. Il s’en amusera plus tard dans une interview : « Je n’étais pas assez calé pour être général ». Il repart rapidement au combat sur les rings et affine son attitude. Au début d’un round, il attend au centre du ring, le poing posé sur le sol, il est prêt à bondir tel un sprinter. Ce gestuel s’apparente à celui des lutteurs sénégalais qu’il a admirés pendant son enfance à Saint-Louis.
Sa technique de boxe est aussi des plus simple : légèrement penché vers l’avant, il lance des directs puissants et autoritaires dans un rythme effréné. Tête en avant, il accule, harcèle et déborde les boxeurs en face de lui. Piètre défenseur, il épuise ses adversaires en encaissant volontiers leurs coups.
L’intéressé avoue dans une interview :
« Dites bien que je suis capable de me relever dix fois avant d’être compté out. »

Illustr. Agence Meurisse © Gallica.bnf.fr
Il sort, épuisé de ses combats, mais avec toujours le sentiment d’un devoir accompli. Le public est toujours nombreux à l’acclamer le soir de ses victoires. L’acclamer pour mieux profiter de ses largesses ! Ce même public qui profitera de son argent jusqu’à la dernière piécette.
Cette année, il vient de combattre deux fois : une victoire et une défaite.
1920 : Conquérir les cœurs à Rotterdam
Battling Siki terrasse cinq adversaires de suite. Son sixième combat l’oppose à « K.O » Marchand. Un boxeur réputé très dur comme le laisse sous-entendre son surnom. Marchand est numéro deux des poids moyens nationaux. Battling Siki dispose de « K.O » Marchand en huit reprises et devient challenger numéro un du champion national Ercole Balzac. Battling déclare par voie de presse pouvoir battre Balzac avant la fin des dix rounds, proposant même d’abandonner ses gains s’il n’y arrive pas. Habile manœuvre mais Balzac, sous la pression de la fédération française de boxe, décline. Il ne faut pas courir le risque de couronner un noir.
Battling s’en prend alors aux champions nationaux des pays voisins. Il bat le champion de Belgique à Anvers et part affronter le champion des Pays-Bas à Rotterdam. Il y élit domicile de longs mois et devient vite une star locale. Ces hollandais vouent une certaine admiration au seul noir de la ville, qui boxe comme un Dieu. Un soir, il fait la rencontre de Lintje Van Appelteere, une blonde aux yeux bleus dont le père tient une pension près de la salle où il s’entraîne. Il se contente de l’admirer et lui faire des sourires (pour le moment). Son esprit est sur les rings.
Il bat le champion hollandais et enchaîne quatre autres victoires par la suite. Lintje ne quitte pas ses pensées, sans doute lui rappelle-t-elle Elaine, cette autre Hollandaise qui l’avait arraché de Saint-Louis.
Nous sommes un soir d’octobre, Battling fait face sur le ring à un Anglais, Nicole Simpson. Lintje est là. Quatre secondes suffisent à Battling pour disposer de son adversaire. Ensuite devant la foule, il s’agenouille devant Lintje et lui adresse des mots. Elle se lève délicatement et dépose un bisou sur la joue du champion.

Illustr. Agence Meurisse © Gallica.bnf.fr
Quelques mois plus tard, Battling Siki reçoit la bénédiction des parents de Lintje. Cette dernière tombe en ceinte et se marie avec le champion. Battling rentrera avec sa famille à Paris et s’installera dans un appartement à rue d’Orléans.
1921 : Battling Siki à la conquête du champion Carpentier
Il y va de ces histoires où le destin impose ses impératifs, balayant d’un revers de main tous les desseins. Battling Siki attend patiemment son heure.
Georges Carpentier est le champion français. Il a tout gagné. Les Français lui valent une admiration hors norme et quelque peu démesurée. Il incarne le rêve français : mineur à Lens dès le bas âge, il fait partie de cette France des opprimés. Boxeur hors pair, il devient champion d’Europe des poids welters dès 17 ans puis celui des poids moyens, des mi-lourds à 18 ans et des lourds à 19 ans. Il s’est engagé dans la guerre de 1914 dans l’armée de l’air, bien au-dessus des tranchées pour gagner ensuite le grade de lieutenant. Revenu à la boxe, il a conquis son premier titre mondial, celui des mi-lourds, contre l’Américain Battling Levinsky. Fort de ce succès, il part affronter en ce mois de Juillet 1921, le champion du monde des poids lourds, Jack Dempsey, à Jersey, devant quatre-vingt mille spectateurs. La défaite est nette. Dempsey envoie Carpentier au tapis dès le deuxième round. Stupeur à Paris, le héros national superstar qui avait soupé avec les plus grands de ce monde, ne mérite pas un tel dessein. L’histoire sera donc racontée dans la presse et les salons parisiens avec beaucoup d’embellie et de gloire.

Au même moment, à Paris, dans la salle Wagram, Battling Siki bat par K.O au septième round Gabriel Pionnier. Ce dernier venait d’échouer face au champion de France Ercole Balzac. Encore une fois, Battling Siki vient de frapper à la porte du champion national. Balzac ne peut plus se cacher, il finira par accepter non sans obtenir des garanties de la fédération : même battu par Siki, il garderait ses titres de champion de France et d’Europe.
Nous sommes le 21 septembre 1921, Battling Siki toujours égal lui-même, envoie Balzac au tapis au deuxième round. Ce dernier abandonne et garde ses titres comme prévu. Pour calmer les protestations et les moqueries, Paul Rousseau enlève les titres à Balzac et, ne le donnant logiquement pas à Battling Siki, les déclare vacants. Battling Siki, voyant le sort s’acharner contre lui, ne se rend pas. Il continue à écrire l’histoire par la force de ses poings. Ses victimes seront Paul Journée, challenger numéro un de Georges Carpentier puis Marcel Niles, l’autre challenger numéro un sorti du chapeau.
Battling ne s’arrêtera pas là. Il battra Hans Dressler et Harry Reeve le 28 Juillet 1922. Entre 1921 et Juillet 1922, il remportera vingt-six combats et concédera un match nul. Carpentier est à ce prix-là. Le combat aura enfin lieu. Georges Carpentier dans ses mémoires tient ses mots honteux :
« J’étais encore à Londres quand j’appris qu’un championnat du mondes des mi-lourds avait été conclu pour moi à Paris avec un challenger inattendu et pour le moins surprenant. Battling Siki était un noir sénégalais qui ne possédait aucune des références internationales qui lui permît de mériter cette soudaine et trop flatteuse promotion. ».
1922 : Battling Siki premier africain, champion de France, d’Europe et du monde
En ce jour du 22 septembre, le stade Buffalo flambant neuf accueille le combat Siki – Carpentier. L’ambiance est bon enfant. On parle fort, on se pavane et on se piaffe gaiement. Tout ce beau monde vient assister à une singulière prestation. Celle d’un blanc, blond, surdoué de la boxe qui va infliger une correction à un « nègre » impétueux qui ose prétendre à la gloire. A ce stade, ce que ce beau monde ignore c’est qu’il va assister au premier rang à une histoire d’une toute autre ampleur. « Des nègres très noirs, trop élégants, exhibant des diamants à leur cravate et des sourires dorés », selon les mots d’un reporter André Reuze, prennent place dans la salle. Exceptionnellement, le manager de Carpentier, Descamps a signé un contrat pour le combat soit filmé puis projeté ultérieurement dans les salles parisiennes.

Les paris sont lancés, les bookmakeurs s’en occupent dans un brouhaha terrible. Les deux boxeurs font leur entrée dans la salle. Carpentier, en premier, descendant de sa limousine, bien coiffé, a déjà prévu un dîner après le combat dans un restaurant en compagnie de personnalités du cinéma et de personnalités politiques. A l’annonce de son nom, Carpentier apparaît dans son kimono gris en sautillant. D’une nonchalance déconcertante, il salue le public.
Siki fait son apparition. Le reporter du quotidien Le Gaulois le décrit en ces termes :
« Les reins serrés dans une culotte blanche, ornée d’une feuille de bananier, qui lui rappelle sans doute son pays natal, l’homme de couleur, admirablement musclé, la tête grimaçante enfoncée dans les épaules qui sont énormes, donne une rare impression de puissance. »
Le gong retentit. Siki avance méfiant. Carpentier, garde basse, s’offre aux coups de son adversaire. Il décide tout de même de lâcher un premier croché qui atteint timidement Siki. Piètre comédien, il se laisse tomber. L’arbitre l’aide à se relever péniblement et lui lance : « Monsieur vous allez nous faire le plaisir de tenir debout ! ».
Battling Siki, refuse le combat 2 rounds durant. Le public commence à s’impatienter et Carpentier semble perdu. Ne sachant plus quoi faire ni quel coup donner face à un adversaire qui refuse la confrontation.

Au troisième round, lassé de ce spectacle, Carpentier décide d’en finir. Il enchaîne trois coups appuyés et Siki retourne au tapis. Mais étrangement, cette fois-ci ce dernier se relève aussitôt et se remet en position d’attaque. Carpentier se rue sur son adversaire, l’allongeant de grands coups pour le mettre K.O. Siki ne réagit pas, pire il semble se nourrir de ces coups pour mieux préparer sa révolte. Carpentier augmente la cadence pour mieux déborder son adversaire. Siki tient, encaissant sans broncher les coups et plonge dans le doute son adversaire.
Siki décroche un coup. Un seul coup bien appuyé et diablement senti. Carpentier tombe, perdu et sous le choc d’un tel coup sur la tête. L’arbitre compte. Carpentier l’interrompt en se mettant debout. Sonnant comme un avertissement, Carpentier se remet à frapper de toutes ses forces atteignant à plusieurs reprises Siki au menton et à la tête. Ce dernier, dans sa décontraction légendaire lui lance : « Vous ne frappez pas très fort, monsieur Georges ! ». A ce moment précis, les coups pleuvent. D’abord Carpentier puis vient le tour de Siki. Il enchaîne à son tour les droite-gauche-droite et atteint son adversaire. Coup de tonnerre au stade Buffalo, Carpentier tombe et ne se relève pas. Il simule un croche-pied et se dit blessé. Le verdict tombe : disqualification pour Siki, victoire pour Carpentier ! Rapidement une, puis dix, puis une centaine de voix s’élèvent des travées du stade Buffalo : « Siki vainqueur, Siki a gagné ! ». L’injustice ne saurait passer. Pas aujourd’hui. Devant une telle contestation, l’arbitre lève le bras de Siki et le proclame vainqueur.
Battling Siki premier africain, champion de France, d’Europe et du monde. C’était son destin. Il l’a fait !
Les médias tentent de minimiser la victoire de Battling Siki. Peu de journaux le relaient. Pire le champion est caricaturé, renvoyé perpétuellement à une condition de « nègre » analphabète qui ignore les bonnes manières. Portrait totalement faux quand on sait que Battling Siki est d’une grande simplicité et parle un français impeccable. Rien n’y fait, dans un contexte colonial, il ne faut surtout pas remettre en cause la suprématie de la race blanche face à des êtres primitifs qui peuplent l’Afrique.
De son côté, Battling Siki, est très peu préparé au succès. A vrai dire il semble s’y désintéresser. Dans une naïveté déconcertante, il dépense son argent les soirs de victoire. La foule intéressée qui le porte bénéficie sans modération de ses largesses. Le champion paie ses tournées, distribuent des liasses aux passants et mène une vie faite d’excès. Personne ne tente de le raisonner, que des charognards autour de lui !

Pour définir la générosité de Siki, Gaston Bénac rapportera ces anecdotes durant cette période :
« Lorsque au restaurant il réglait une addition de 200 francs, il laissait 400 francs de pourboire à partager entre le garçon et le chef cuisinier, en faisant à ses invités cette remarque : « Le garçon et le cuisinier sont beaucoup plus méritants que le patron qui ne travaille pas et est riche. » »
A Draveil, où se tenait un meeting de grévistes en plein air, Siki fit arrêter la voiture et demanda la parole : « Mes camarades, j’approuve vos revendications, vous ne gagnez pas assez… ». Et sortant de son portefeuille, il laissa 20 000 francs de secours aux grévistes qui, naturellement, l’acclamèrent. Mais en rentrant à son hôtel, il s’aperçut qu’il ne lui restait plus que 20 francs en poche.
Battling Siki retourne à Rotterdam. Il est célébré à sa juste valeur. La Hollande le couvre d’honneur en décrétant un jour férié. La reine en personne vient l’accueillir. Battling Siki, sa femme Lintje et son fils Louis, élégants, empruntent la calèche de la reine pour un tour d’honneur.
Diabolisé dans son pays la France, il est aujourd’hui célébré par la Hollande : « Voici le brave Battling Siki, voici le brave Battling Siki ».
A son retour en France, ses titres et sa licence de boxe lui seront injustement retirés sous prétexte qu’il a levé la main sur un arbitre. Pour se défendre, Siki racontera sa vérité à Blaise Diagne : une tentative de corruption pendant le match. Ce dernier tentera de porter la voix de Siki dans l’hémicycle dans un somptueux discours :
« Siki n’a pas voulu obéir qui auraient permis de se jouer du public et de lui envoyer son argent. Sur le ring, ayant un moment donné le sentiment de sa force, il n’a pas admis au quatrième round, qu’il devait s’abattre pour donner à Carpentier une nouvelle victoire. Si je vous disais que c’est pour cela que cet homme a été frappé sans être entendu ! Il est inimaginable qu’en France on puisse condamner un homme à crever de faim sans l’avoir entendu. »
1923 : Battling Siki perd ses titres
Au bout d’un bras de fer à n’en plus finir avec la fédération et après une commission d’enquête qui lève le doute sur un quelconque trucage du match face à Carpentier, la licence et les titres sont rendus à Battling Siki.
Deux promoteurs véreux, Anastasie et Defrémont, profitent de la situation et de l’impatience de rechausser les gants de la part du champion, pour lui proposer un combat avec le champion irlandais McTigue. Ils réussissent leur coup et voilà Battling engagé dans ce combat, remettant en jeu ses titres fraîchement retrouvés.
Le combat a lieu à Dublin le jour de la Saint-Patrick, le 17 mars, en pleine période de guerre civile. Le combat se déroule en 20 rounds. La victoire se dessine au nombre de poings. La victoire sera attribuée à McTigue. Dans un tel contexte, les jeux étaient faits, Battling ne pouvait gagner.
Le champion déchu revient en France et discutent plusieurs combats. Dans l’espoir de recroiser Carpentier, il accepte de combattre gratuitement contre Emile Morelle et Marcel Nilles. Il bat les deux mais se fait disqualifier pour un coup bas involontaire contre le premier. Le combat avec Carpentier n’aura pas lieu.
Battling installe sa femme Lintje et son fils Louis dans un pavillon à Vanves. Le voilà parti exercer son métier dans les quatre coins de l’Europe. Il passe de moins en moins de temps avec sa famille, à la recherche de gloire. Au fil des télégrammes qu’il envoie régulièrement, il annonce son voyage aux Etats-Unis, promettant d’envoyer de l’argent. Il ne reverra jamais sa famille.
1925 : New-York, la fin pour Battling Siki
L’idylle de Battling Siki avec le pays de l’oncle Sam n’a duré que deux années. Tout avait bien commencé pourtant. Quand il a débarqué du paquebot Berengaria en Août 1923, il venait d’arriver à New-York. Quelques journalistes se passionnaient de sa venue. Ils ont, plusieurs années durant, entendu parler des frasques de ce jeune Sénégalais à des milliers de kilomètres. Ses premiers mots furent plein d’assurance, il souhaitait rencontrer Dempsey le bourreau de Carpentier. Les journaux afro-américains étaient séduits, ils dressaient le portrait d’un jeune garçon sympathique qui semblait avoir pris conscience de ses erreurs passées.
Un premier combat fut vite décroché au Canada. Battling Siki fit rapidement parler de lui à cause de bagarres à répétition pendant ce déplacement. A son retour, il comprit assez vite, qu’il ne combattrait pas Dempsey ni aucun autre blanc. Il se contenta de boxeurs noirs.
Sous la houlette de son nouveau manager, Bob Levy, le marketing s’est rapidement organisé autour de Battling. On le baptisa : « Singular Senegalese » pour mieux le décrire comme « un sauvage qui est né dans la jungle d’Afrique ». La légende plut et les New-Yorkais se passionnèrent pour cet étrange personnage. Un combat fit rapidement ficelé avec Norfolk, un puissant boxeur noir qui, par la force de ses poings, interdisait l’accès à l’antichambre des boxeurs blancs.
Le combat eut lieu dans l’enceinte du Madison Square Garden. Les treize mille places furent rapidement vendues en ce jour du 20 Novembre 1923. Les deux boxeurs se livrèrent un âpre combat. Les journaux racontèrent que Battling fut héroïque. Malgré un œil fermé, il tena jusqu’au bout, manquant même d’envoyer son adversaire au tapis au quinzième et dernier round. La victoire fut attribuée à Norfolk.
En 1924, Battling Siki aura disputé seize combats : des victoires et des défaites peu mémorables. Le contexte américain ne l’aidait guère car les combats mixtes étaient rares. Et dans les rares cas où ils ont eu lieu, les boxeurs blancs ont été systématiquement déclarés vainqueurs.
Battling continua quand même de se battre et à être libre. Il parcourut le pays à la recherche d’adversaires.
Sa vie aux Etats-Unis était faite de résistance. Il ne se faisait pas payer, il se faisait entretenir les jours de victoire. Son manager se contentait de lui donner de quoi faire la fête. Peu regardant sur sa condition, Battling menait une vie anarchique. Généreux, il n’oubliait jamais ses compagnons de circonstance les jours de victoire. Il était apprécié dans son quartier à New-York. On lui pardonnait ses bagarres et ses écarts de conduite.
Le 24 Juillet 1924, Battling Siki se maria une nouvelle fois. L’heureuse élue, une blanche, se nommait Lillian Warner. On raconta qu’il a fait pour éviter d’être expulsé. Les agents de l’immigration auraient été à ses trousses depuis quelques temps.
En cette année 1925, les journaux ont beau se déchaîner sur le champion mais serein, Battling est pour une fois bien entouré. Lillian l’aime inconditionnellement et le quartier fait bloc autour de lui. Le soir du 15 au 16 Décembre, rentrant chez lui, il a rendez-vous avec son destin. Batlling Siki est atteint de plusieurs coups de feu tirés dans le dos. S’en est fini pour le champion, il ne relèvera plus. Qui l’a tué ? Crime raciste pour le uns, règlement de compte pour les autres, on ne le saura jamais. Le champion est mort, vive le champion !

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